Introduction
En réaction aux habitats modernes construits à base de matériaux industriels, en parallèle du développement du mouvement écologiste et à la recherche d’authenticité, de nouvelles méthodes d’éco-construction ont vu le jour. Cependant certaines comme « l’Ecodôme », en dépit de son apparence (forme arrondie, résistance et leur faible coût), sont en réalité plus proches des constructions modernes que de constructions naturelles : la terre est stockée dans des sacs de polypropylène assemblés comme dans un igloo et liés les uns aux autres avec du fil barbelé en faisant de l’habitat un vortex de fil de fer. Dans cet article nous allons présenter une véritable méthode de construction écologique née dans les années 1980, qui conserve l’esprit des constructions anciennes.
La naissance du procédé Canosmose
Yves Khün (1950-2012) paysan dans la Drôme, bâtisseur dans le Vaucluse ainsi que professeur à l’école de l’architecture et du patrimoine d’Avignon, a été l’initiateur d’un procédé d’éco-construction qu’il a baptisé « Canosmose », contraction de «Cannabis et osmose» (osmose pour les échanges à tous les niveaux), qui est une réactualisation de la manière traditionnelle de bâtir avec son esprit et son savoir-faire basé sur les « règles de l’art ». Les matériaux utilisés (ossature bois, chanvre et un liant constitué de chaux, de pouzzolane et de gypse) sont à 100% d’origines naturelles et parfaitement intégrés à l’environnement. Les performances remarquables et sans compromis de ce type de construction font que des bâtiments construits des années 1990 avec cette méthode respectent les normes actuelles les plus récentes et les plus strictes en matière de construction (RT 2012 et RT 2020). Au travers de son association « ADAM », centre de formation agréé, un réseau d’une vingtaine d’entreprises ont été formées à sa technique lors de son vivant et réalisent actuellement des éco-constructions selon ce principe.
La philosophie de l’art de bâtir vivant
Comme tout art, l’art de bâtir était autrefois sacré, étant toujours rattaché à un principe supérieur. Contrairement à aujourd’hui le plan spirituel n’était pas délaissé au seul profit du plan matériel. C’était avant tout l’Esprit qui engendrait le monde manifesté qui représentait une sorte de perfection. La présence des proportions divines dans la constitution des êtres vivants (nombre d’or) était considérée comme la signature d’un esprit créateur. Le bâtisseur initié dans une corporation au travers du compagnonnage, disposait de connaissances transmises précises et s’appliquait à imiter cette perfection, participant dans le même temps à sa réalisation spirituelle. Comme vu précédemment dans l’article sur l’harmonie de la société médiévale au sujet du compagnonnage, il s’agit du travail utile et bien fait, en vue de « Dieu ».
Ainsi Yves KHÜN envisageait de rétablir cette ancienne « philosophie », considérant l’art de bâtir comme une action imitant et respectant les processus qui animent le vivant, à la fois pour les personnes qui y vivent (procurant harmonie, beauté et confort) mais aussi pour le monde extérieur. C’est ainsi qu’il concevait l’écologie, insistant sur le respect, à l’opposé d’un écologisme emprunt de passéisme et de nostalgie. « Il s’agit de se calmer dans le brouhaha actuel » ajoutait-il.
Sa vision s’oppose à la vision née avec le monde moderne qui consiste à « Couper le contact avec la nature, avec notre propre corporalité, avec notre relation avec le minéral, le végétal, l’animal, l’humain et le divin ».
Toute la dimension de l’artisanat restaurée
Pour lui l’artisan en plus d’être un technicien, devait retrouver sa dignité et ses savoirs faire, qui relient l’esprit et la matière :
« Il est urgent et incontournable que l’artisan mette en œuvre sa sensibilité objective, son goût et sa patience respectueuse qui animent cette maçonnerie ; C’est tout simplement l’intelligence du cœur dans le corps du bâtisseur qui engendre discernement, mesure, rythme et joie ».
L’intention et la qualité du geste de l’artisan ont une importance toute particulière. Selon la manière de réaliser un mouvement répétitif, celui-ci peut soit nous abêtir (cas de l’industrie) ou soit nous élever (cas du véritable l’artisanat). Le rythme de travail n’a pas vraiment d’importance : que le travail soit effectué de manière rapide ou lente, il doit surtout s’effectuer en conscience, avec amour et en toute sérénité. Il s’agit d’un travail qui dans l’idéal, se réalise en prière. Yves KHÛN inspiré par Rûmî disait « Lorsque l’on construit une maison, on disparaît sur le plan psycho-physique pour renaître en esprit complètement émerveillé, afin de participer à la création d’un référentiel qui n’est si pas si loin de nous ».
L’habitation, une enveloppe organique, non isolée de l’extérieur
La bâtisse est envisagée comme un organisme vivant qui respire. A partir d’une ossature bois est réalisée la chair, le derme et l’épiderme, régulant température et humidité. A l’inverse du concept de l’isolant synthétique moderne, l’isolant n’est pas vu comme une séparation avec l’extérieur et d’un intérieur qu’il faut chauffer ou refroidir, mais plutôt comme une enveloppe ou une troisième peau, qui régule de manière dynamique et qui protège :
« Véritable poumon qui harmonise, régule les variations thermiques et hygrométriques qui protège de contraintes extérieures sans que l’on subisse le choc du point de rupture intérieur-extérieur, grâce à son caractère dynamique et respirant CANOSMOSE agit comme régulateur hygrométrique et thermique, équilibrant et stabilisant, il empêche toute condensation, crée une ambiance sereine, saine, d’un confort surprenant et innovant aux parois qui dégagent de la beauté et des ions négatifs. »
Le bâtiment disposant d’une transparence énergétique, est perméable aux énergies cosmos telluriques (en provenance du ciel et de la terre) dont la nature nous dispense, en plus de l’énergie en provenance de l’alimentation qui ne représente qu’une part de l’énergie totale captée par le corps humain. L’habitation se veut également vivante de par son aspect rayonnant grâce à ses matériaux au taux vibratoire[1] élevé, composés d’une alliance de la silice végétale de la chènevotte à la silice minérale de la pouzzolane).
Le confort phonique est également mis à l’honneur grâce aux matériaux naturels absorbants, empêchant toute réverbération et faisant que le bruit ne se propage pas d’une pièce à une autre.
La réalisation technique d’une architecture en chanvre/chaux
1) Le béton de chanvre
a) Différence entre ciment ancien et ciment moderne.
Afin d’apprécier la qualité du le béton de chanvre, composé
principal de l’ouvrage, il nous faut faire un petit historique de l’évolution des ciments et un comparatif entre les ciments anciens et modernes. Les différences n’étant pas aussi importantes qu’on pourrait le penser, il est intéressant d’entrer dans les détails pour comprendre à quel niveau elles se situent précisément.
Dans les anciennes constructions où les matériaux devaient être trouvés sur place, la chaux pouvait être le seul liant utilisé avec du sable. Elle était produite à partir de roches calcaires (la plus pure possible) de manière artisanale dans de simples fours à chaux construits en pierres. L’ajout de matériaux de type pouzzolane/pierre ponce (ou tuf selon la région) pour améliorer le liant était déjà connu. Dans les régions dépourvues de calcaire, l’argile seule était utilisée comme liant. A cette époque l’ouvrier était alors maître dans la réalisation du ciment tandis qu’aujourd’hui il en est tributaire.
En 1796 James Parker dépose un brevet pour une formule de ciment naturel à prise rapide, appelé à tort « Ciment Romain ». Il est aujourd’hui appelé « Ciment Prompt ». Il est produit à partir de la calcination à température modérée (600 – 1200°C) de roches calcaires contenant 30% d’argile, sans transformations préalables.
Ce ciment est ainsi très proche de la chaux utilisée dans le béton chanvre du point de vue de sa composition (avec néanmoins plus d’argile) et de son processus d’élaboration. Il est d’ailleurs utilisé aujourd’hui dans l’éco-construction.
Ce ciment dispose de nombreuses qualités : résistant à l’eau, imperméabilisant, respirant, pouvant être utilisé pour des moulages (statues et divers ornements), il présente également une excellente durabilité, esthétique avec une couleur ocre clair. Enfin il respecte la pierre et s’allie parfaitement avec de la chaux. C’est celui que l’on retrouve dans les anciennes architectures et il est toujours utilisé aujourd’hui dans la restauration de ces dernières.
Puis l’industrie naissante et s’imposant, l’architecture en pierres taillées a été remplacées par une architecture en pierres factices avec du béton moulé (ciment prompt) jusqu’à une architecture en béton armé (ossatures métalliques) dépouillée d’ornements.
Les structures en béton armé avaient besoin d’un autre type de béton qui puisse s’allier facilement avec la ferraille. Et c’est ainsi qu’a été développé un nouveau ciment artificiel appelé « Ciment Portland ». A l’opposé du ciment naturel, le matériau calciné n’est pas une roche naturelle mais un mélange artificiel préalable de calcaire (80%), d’argile (20%) et d’oxyde de fer qui est broyé très finement avant d’être calciné à haute température (1450°C) pour produire le «Clinker» (constituant principal de ce ciment). L’importance de la pureté du calcaire et de l’argile est bien moindre que pour les ciments naturels. La hausse de la température de cuisson exigée par rapport au ciment naturel, a sans doute pour rôle de produire plus d’alumines et de ferro-aluminate participant à un bon alliage avec le fer et l’acier. Le processus industriel de fabrication fait que des métaux lourds se retrouvent dans le ciment. Des adjuvants sont ajoutés pour accélérer la prise et augmenter la résistance mais ceux-ci peuvent être allergènes. Ce ciment ainsi dénaturé, produit à grande échelle tout en étant très énergivore, est de moindre qualité, très peu étanche et respirant et supporte mal l’eau.
b) La composition du béton de chanvre :
Il est décliné en plusieurs « recettes » avec un dosage et une granulométrie des ingrédients qui varient selon s’il est utilisé pour les dalles, les murs, les cloisons ou la toiture. Suivant la façon dont est travaillé et dosé en fonction de l’utilisation souhaitée, il développe plus ou moins certaines de ses qualités, comme ses qualités phoniques et acoustiques importantes pour les cloisons.
c) Quelques mots sur les composés :
- La chènevotte: Il s’agit de la partie ligneuse du chanvre dépouillée de son écorce. Les caractéristiques morphologiques de la chènevotte, alvéolée et constituée de vaisseaux parallèles, en font un matériau très respirant et absorbant qui a une excellente tenue mécanique dans le temps. Elle doit cependant être stabilisée avec un liant.
- La chaux aérienne : Issue d’une calcination de roches calcaires, produisant de la chaux vive, ensuite éteinte avec de l’eau. Sa principale qualité est d’être un liant respirant qui s’auto régénère et se renforce dans le temps (principe de carbonatation). Sa propriété hydrofuge la rend idéale en emploi dans les enduits que sa couleur blanche magnifie.
- La pierre ponce ou pouzzolane: Roche volcanique très poreuse, très respirante, elle favorise la carbonatation de la chaux augmentant la solidification du mélange. Résistante au gel et légère, elle participe également à une bonne isolation thermique et phonique.
- Le plâtre gros (gypse): Plâtre à l’état le plus naturel possible, non adjuvé, avec une cuisson appropriée. Il est recommandé en association avec le mélange chaux/chanvre du fait de sa perméabilité à l’eau et à l’air. Se comportant comme la chaux (carbonatation) il va conférer une bonne solidité aux dalles. Il permet également une prise rapide et combinant ses qualités physico-chimiques avec celles des autres liants (chaux et ponce), il va les conjuguer et les amplifier.
2) La dalle sur un « hérisson ventilé »
Contrairement aux maisons modernes qui pourraient être qualifiées de « hors sol » avec leur vide sanitaire et leurs films d’étanchéité en polyéthylène, la dalle est réalisée à partir du béton de chanvre sur un hérisson ventilé qui est une couche de pierres empêchant l’humidité de remonter par capillarité. Grâce aux matériaux respirants l’humidité du sol n’est pas bloquée mais simplement régulée. A propos du principe de régulation hygrométrique, Yves KHÜN l’illustrait ainsi « l’être humain transpire mais l’eau ne lui rentre pas pour autant dans le corps ».
3) Les murs en béton de chanvre sur ossature bois
Les murs sont maçonnés en béton de chanvre à l’aide de coffrages, en un seul bloc directement sur l’ossature bois, pour éviter la création de « ponts thermiques » (points de déperdition de chaleur). Tout comme les autres matériaux naturels, le béton de chanvre offre une bonne masse et inertie thermique avec une restitution en différé : les murs vont stocker la chaleur du soleil la journée et vont ensuite lentement en restituer une partie la nuit à l’intérieur avec un décalage de 10 à 12 h. Ajouté à cela, il se produit dans les murs un phénomène de changement de phase (vaporisation de la vapeur d’eau lorsque la température augmente et condensation lorsque la température diminue) qui renforce cette régulation.
L’habitation a ainsi très peu besoin de chauffage en hiver et l’été la fraicheur est conservée en journée. La résistance au feu est également très bonne contrairement aux maisons modernes avec isolants en polystyrène : lente propagation du feu et pas de production de fumée ni de débris enflammés. Enfin la respiration des murs évite les problèmes[2] créés par les isolants modernes.
4) Les cloisons phoniques et acoustiques
Les cloisons sont généralement faites en béton de chanvre banché. Un gobetis d’un mélange chaux/ponce est ensuite appliqué servant de couche d’accroche à un enduit de chaux-chanvre. Afin de conférer aux cloisons ses qualités acoustiques et phoniques en plus de la nature absorbante des matériaux, il est important que la surface de celle-ci soit rugueuse, les surfaces lisses étant catastrophiques pour l’acoustique. A noter que le « Placoplatre » industriel est réputé être un mauvais isolant phonique et thermique. Concernant les cloisons Yves KHÜN disait : « l’énergie des aliments passe à travers les muqueuses intestinales mais pas les aliments en eux-mêmes ; l’énergie circule dans toute la maison et relie les espaces dans une ambiance de haute qualité vibratoire sans transit de bruit ni de résonance. »
L’importance de tenir compte de l’existant lors de rénovations
Lors de la construction d’un bâtiment celui-ci dispose de caractéristiques qui ont été pensées par l’architecte et toutes modifications ultérieures devraient en tenir compte. Malheureusement cela semble avoir été perdu de vue ou relayé au plan secondaire au détriment des considérations économiques. En effet ces dernières années beaucoup de travaux de rénovations comme l’isolation par l’extérieur avec des matériaux synthétiques (dont certains sont cancérigènes comme le polystyrène) ont été effectués de manière uniforme sans se préoccuper des conséquences de ces changements sur la qualité de l’air ambiant. Ainsi après isolation, certaines habitations non pourvues de VMC sont devenues très humides à l’intérieur et la condensation engendre des moisissures avec tous les problèmes que cela pose sur la santé ou la pérennité à long terme du bâtiment. A contrario les maisons écologiques bien conçues gérant la vapeur d’eau, n’ont pas besoin de VMC (qui doivent être à double flux afin de ne pas annuler les gains des performances thermiques obtenus par l’isolation, lors de leur ajout).
Notes de bas de pages :
[1] L’aspect vibratoire, régénérant et « lumière chaleur » de la silice
La silice entre dans la composition de minéraux comme le quartz, qui est utilisé pour mesurer le temps dans les montres et les ordinateurs. Grâce à l’effet piézoélectrique, le quartz vibre à la fréquence de 32,7 Mhz. Le temps en seconde est ensuite obtenu grâce à une division effectuée par un circuit intégré.
De plus la silice (ou silicium) disposerait de propriétés énergétiques reconnues en biodynamie, se manifestant sur un plan plus subtil que ce qui est mesurable en biochimie : « Les dérivés du silicium ont une souplesse de structure et des propriétés électriques qui permettent d’ajuster le potentiel membranaire, optimisant le fonctionnement de la cellule. Lorsque le potentiel est déséquilibré, ils favorisent la restauration de l’activité membranaire.
Source : http://www.sante-vivante.fr/IMG/pdf/SV-SILICIUM.pdf III.1 La vibration cellulaire.
Et enfin selon les travaux de Wilhelm Pelikan (cf. «Lʼhomme et les plantes médicinales» tome 3), le chanvre, végétal très riche en silice, manifeste le principe «lumière-chaleur». Ainsi la silice aurait ainsi la possibilité de favoriser le captage de la lumière et de la chaleur par les plantes.
[2] Problèmes posés par les isolants modernes
« Dans les maisons conventionnelles françaises, l’usage est d’utiliser du polystyrène étanche, des laines minérales revêtues d’un pare-vapeur en papier kraft ou un pare-vapeur totalement étanche (type polyane ou feuille d’aluminium) en cherchant à protéger l’isolant de cette humidité. On ajoute ensuite une extraction d’air (coûteuse en énergie) pour assurer une hygrométrie de confort (entre 30 % et 60 %). Le problème, c’est que bien souvent, ce pare-vapeur n’est pas parfaitement posé. Le moindre trou, la moindre prise électrique constitue une fuite, vers laquelle toute la vapeur d’eau va s’engouffrer, à la recherche de fraîcheur, son but n’étant que de condenser ! Ces fuites correspondent généralement avec les ponts thermiques structurels du bâtiment (les zones les plus froides). L’eau s’infiltre ainsi toujours au même endroit, de surcroît dans des isolants qui détestent l’humidité : ils se dégradent rapidement et n’assurent plus leur rôle de protection thermique. La suite, c’est le développement de moisissures, les détériorations de revêtements, l’effritement des enduits… »
Photos de construction/rénovation en chanvre/chaux :
Vidéos :
Activités de la société « Chanvre construction »
Chantier réalisé dans l’Isère par Yves KÜN en 1992
Interview de l’ami Suisse par Miss Interlok, ami de Yves KÜN :
Reportage sur Yves KÜN et son association « ADAM » :
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